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Le Capital au XXIème siècle

Pour ma première contribution à ce blog, je vais laisser de côté mon expertise sociologique pour proposer un article présentant des travaux d’économie. J’ai assisté à une conférence de Thomas Piketty présentant son dernier ouvrage, Le Capital au XXIème siècle, dont je vais vous faire un petit résumé. Un gain de temps par rapport à ce que demanderait la lecture intégrale du livre, même si la conférence donne envie de s’y plonger pour approfondir les questions soulevées.

 L’enjeu général de ce travail est de proposer une analyse de l’évolution historique de la répartition des patrimoines depuis la fin du 18ème siècle, mais surtout le 19ème siècle, à nos jours. En ce sens, il constitue un élargissement à un panel de pays plus large des travaux précédents de Piketty consacrés à la France. Cela en s’appuyant sur deux types de sources. D’une part, la World Top Incomes Database, qui fournit des informations sur les revenus, appréhendés à partir des données sur l’impôt sur le revenu mis en place dans une grande partie des pays autour de la Première Guerre Mondiale. D’autre part, concernant les patrimoines, les données sont plus variées et plus anciennes : ainsi, en France, on enregistre les droits de successions et de donations depuis la Révolution. L’accès à ce type de consignations permet de reconstituer le niveau d’accumulation d’épargne issue des revenus, les héritages, les ressources nationales, etc.

Thomas Piketty en s’intéressant à des dynamiques de long terme, est certainement un chercheur hétérodoxe dans le champ économique. Mais l’analyse historique qu’il propose (notamment concernant le 19ème siècle) est tout à fait justifiée et pertinente : elle permet de remettre les chocs perçus au 20ème siècle dans une perspective plus longue. Ainsi, une étude du rapport capital/revenu montre l’effondrement lié aux guerres et le très long processus nécessaire pour retrouver des niveaux d’avant guerre.

Le livre est divisé en quatre parties : « Revenu et capital », « La dynamique du rapport capital/revenu », « La structure des inégalités », « Réguler le capital au 21ème siècle ». Les résultats communiqués par l’auteur dans le cadre de cette conférence sont essentiellement issus des parties 2 et 3. Il articule ainsi son propos selon trois interrogations.

 1. Le retour d’une société patrimoniale en Europe et au Japon

Le ratio patrimoine (ou capital, les deux termes étant indissociables dans ce livre et renvoyant à ce qu’un individu possède et peut vendre sur un marché, excluant de ce fait le capital humain) sur revenu, qui avait connu une tendance à la baisse, retrouve des niveaux très élevé dans des pays à la croissance faible.  

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Ainsi, d’un niveau égal à 200 ou 300% dans les années 1950-1960, il passe à 500-600% en 2000-2010. Cela signifie qu’actuellement, le patrimoine accumulé en France (qu’il soit privé ou public) représente six années de revenu national. La tendance ascendante est globalement commune à tous les pays riches, et s’explique par le fait que dans une société de croissance lente, les patrimoines accumulés dans le passé prennent naturellement une grande importance puisque la production présente est faible. Mais l’évolution de court terme peut être plus chaotique (cas du Japon qui a connu une bulle entre 1985 et 1990). Globalement, aussi, cette tendance correspond à une évolution positive du patrimoine privé des ménages : le capital public atteint des niveaux bien plus faibles, parfois négatifs comme en Italie, et va en diminuant.

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Cela correspond au fait que le niveau des dettes publiques est sensiblement égal au niveau des actifs publics, le capital considéré dans l’ensemble de ces travaux étant toujours net de dettes. Enfin, les composantes de la valeur du capital se modifient au cours du temps, avec par exemples les terres agricoles remplacées par le capital immobilier (logement) en France.

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2. La concentration du patrimoine

La concentration du patrimoine (aux mains d’une fraction de la population) est extrêmement élevée, mais connaît une tendance à la baisse : dans de nombreux pays, les 40% du milieu (autrement dit, si on sépare la population en dix part de taille égale, les personnes se trouvant entre les 30% les plus pauvres et les 30% les plus riches) détiennent maintenant entre 20 et 30% du capital national, alors qu’ils ne possédaient quasiment rien au moment de la Première Guerre Mondiale. De plus, la part du décile supérieur connaît globalement la même évolution à la baisse dans les pays occidentaux, amorcée à partir des années 1920, avec une chute régulière jusqu’à atteindre un palier de stabilisation autour des années 1970.

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On assiste ainsi au 20ème siècle à la montée d’une classe moyenne patrimoniale et donc à une baisse relative des inégalités patrimoniales, du fait des chocs des guerres mondiales. Pourtant, au 21ème siècle, le niveau de concentration du capital pourrait retrouver ses niveaux d’avant guerre : en effet, l’inégalité de capital est une fonction croissante de r-g (rendement net du capital – taux de croissance). Avec le ralentissement de la croissance, le rapport r-g pourrait ré-augmenter, aidé en cela par une compétition fiscale qui a tendance à augmenter le rendement net du capital, et les inégalités patrimoniales avec lui.

 3. L’inégalité en Amérique

Les États-Unis présentent une structure historiquement très différente de l’Europe, avec un fort contraste entre les États du Nord, plus égalitaires que l’Europe, et les États du Sud, moins égalitaires (il faut se souvenir que ce sont les États des plantations avec leur système esclavagiste). Le système américain est à la fois très méritocratique, et très violent ; au 20ème siècle, il a connu une hausse des inégalités. Celles-ci viennent plus du revenu que du capital, ce qui traduit d’une part une forte concentration des moyens éducatifs (les inégalités très fortes entre les facs les plus dotées et les plus célèbres, Harvard en tête, et les collèges de base est bien connue) et d’autre part un envol des très hautes rémunérations.

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En fait, l’idéologie que l’auteur qualifie « d’hyper-méritocratique » survalorise des « super-cadres », qui doivent pouvoir prétendre à un même niveau de revenu que les héritiers. Mais cela n’est pas sans effets pervers pour ceux qui ne sont ni « super-cadres » ni « super-héritiers » : ils constituent les classes populaires et pauvres, présentées comme peu méritantes et peu productives alors même que le mérite n’a sans doute que peu à voir avec l’inflation des hauts revenus. A cette évolution des rémunérations s’ajoute le fait que pendant longtemps, les États-Unis, comme le Royaume Uni, ont pratiqué une politique fiscale confiscatoire sur les hauts-revenus, avec des taux d’imposition atteignant parfois les 80 voire 90%. Aujourd’hui, celui-ci s’établit autour de 30 à 40%, réduisant de fait les possibilités de répartition grâce à la politique fiscale, contribuant à creuser un peu plus les inégalités de revenus.

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La conclusion de l’auteur est que l’histoire de la répartition est richesse est profondément chaotique, et intrinsèquement liée à des enjeux politiques. Ainsi, si l’ouvrage permet de mettre en évidence des tendances, Piketty se refuse à prévoir l’avenir du capital mondial. Cependant, pour tenter de remédier aux profondes inégalités patrimoniales, il propose comme « solution idéale » un impôt progressif sur le capital, qui devrait s’établir au niveau mondial, avec un échange systématique et automatique d’informations bancaires. Conscient qu’on est loin de se diriger vers une telle organisation, il examine alors des solutions plus minimales de modes de régulation, comme un contrôle des capitaux plus ou moins autoritaire.

En bref, cet ouvrage présente des résultats pour certains déjà connus, pour d’autres plus novateurs. Mais dans tous les cas, un tel rappel n’est pas inutile, d’autant plus que Thomas Piketty fait encore une fois preuve d’une grande pédagogie. En témoignent les ressources mises à disposition sur son site internet pour accompagner le livre : vous pourrez trouver l’ensemble des slides supports à cette présentation, les graphiques présentés, des extraits du livre, … Tout ça ici !


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